Revue de presse
Charlotte Garson - Cinéma du Réel / Gaell B. Lerays - Fiches du cinéma / Anouk Cohen - Médiapart (entretien) / Claudine Colozzi - Faire Face /
Charlotte Garson - Cinéma du Réel
Dans un centre de rééducation fonctionnelle, des prothèses mécaniques façonnées sur mesure aident des hommes et des femmes amputés à se redéfinir en se réappropriant leur corps. Matthieu Chatellier garde trace dans son bref prologue de ce qui lui a fait décider d'explorer ce lieu : le rêve d'un humain bionique, être composite dont l'utopie a nourri toute une littérature de science-fiction. Mais si le prologue s'intéresse à la fabrication des pièces et à leur mécanique de précision, c'est l'enjeu humain et personnel que nous découvrons immédiatement après le générique. Comment repartir de zéro (la polysémie du terme « appareillage » fait penser à un long voyage, dûment préparé). Comment penser sa façon de marcher, ou de saisir un objet, gestes quasiment automatiques quand le corps était entier ? Avec l'aide des prothésistes et des médecins, c'est en fait à une réinvention de leur corps que les patients sont conviés, qu'ils acceptent leur hybridité avec humour (une patiente se compare à Cendrillon essayant la pantoufle) ou circonspection (le vieux marin plongé dans l'horizon à sa fenêtre, jumelles en main). Attentif également aux « Geppetto » qui rabotent et réajustent au millimètre près, Matthieu Chatellier observe avec pudeur et délicatesse leur travail commun.
Gaell B. Lerays - Fiches du cinéma
Deux ans après les corps cassés de Sauf ici peut-être – où il filmait des hommes et des femmes éprouvés par la vie et qui trouvaient refuge dans la communauté d'Emmaüs, au milieu d'objets tout aussi cassés qu'eux dont la restauration prolongeait symboliquement le travail entrepris pour aller mieux eux-mêmes –, Matthieu Chatellier revient au Réel avec la Mécanique des corps. Il s'intéresse ici à d'autres cassures, d'autres corps éprouvés, bien différemment : des corps manquants. Les processus de réparation diffèrent nettement, on parlera mécanique, justement. Il nous invite à une immersion dans le centre de rééducation le Normandy, à Granville, où il choisit trois personnages principaux dont nous suivons le parcours douloureux, physiquement et moralement, celui d'une reconstruction (aux sens propre et figuré) durant laquelle la chair et le métal, et bien d'autres matières qui n'ont rien d'organique, devront faire corps en s'ajustant. Des corps auxquels il faut réapprendre à fonctionner, des personnes auxquelles il faut réapprendre à saisir, courir, marcher… avec un corps étranger. Le film se teinte ainsi de nuances fantastiques : ces êtres blessés (amputés) apparaissent comme des créatures modelées par la science et la mécanique, des super héros qui nous surpassent sur bien des points, à commencer par ce qui les ramènent à leur qualité d'humains, un courage hors norme, une endurance admirable. Cette réflexion sur le fantastique, le cinéaste ne l'adopte pas vraiment, il n'en fait pas un point de vue. Il accorde toute son attention aux personnages qu'il accompagne, intervenant parfois au son, ne masquant pas plus qu'ailleurs (dans ses autres films) sa présence. Il accorde le tempo du film au temps qu'il faut pour accepter, expérimenter et guérir, un temps long qui résonne dans la durée des plans. Outre l'empathie que nous ressentons pour chacun de ces personnages, une sorte de petit miracle advient : arrive un moment où l'on ne regarde ni ne voit plus la prothèse, mais un corps qui aurait retrouvé son intégrité, un corps neuf, vibrant, un corps en mouvement, un corps vivant.
Anouk Cohen - Médiapart (entretien)
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La genèse du film et la thématique du corps
Matthieu Chatellier dit dans sa note d'intention vouloir raconter une histoire de corps. Des corps tronqués, réinventés. Il rencontre au centre de rééducation de Granville des femmes et des hommes, patients ou professionnels, engagés dans un travail fascinant de redéfinition et de réappropriation de soi. Matthieu Chatellier revient sur la genése de La Mécanique des Corps.
La Mécanique des Corps est le cinquième film de Matthieu Chatellier. La fragilité des corps (corps meutri, destin funeste du corps qui se dégrade) est un thème qui revient dans ses différents films. Le réalisateur nous en dit un peu plus sur ce thème récurrent.
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Le corps médical, le patient et le "filmeur"
Dans le documentaire, le corps médical est très présent ; il aide le patient puis petit à petit il le laisse sentir comment il doit gérer sa prothése. La caméra s'attarde autant sur l'équipe médicale que sur les patients. Matthieu Chatellier nous explique ce choix.
Le tournage de La Mécanique des Corps s'est étalé sur deux ans. Le documentariste raconte comme s'est déroulé le tournage et comment la relation filmeur/filmé s'est instaurée.
Dans le film, le spectateur rentre dans l'intimité du corps en rééducation des patients et pourtant les personnes filmées ne se racontent pas intimement, ne parlent pas de leur histoire. Matthieu Chatellier détaille ce parti pris.
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Influences
Le cinéaste cite Alain Cavalier au générique de fin. Source d'inspiration pour lui, Matthieu Chatellier révèle ce que cette figure du cinéma représente pour lui.
En compétition officielle au Festival Cinéma du Réel, Matthieu Chatellier réfléchit en ce moment à son prochain film et travaille en parallèle en tant que chef opérateur sur des films réalisés par d'autres.
Claudine Colozzi - Faire Face
Pendant deux ans, Matthieu Chatellier a suivi des femmes et des hommes amputés au Centre de rééducation fonctionnelle de Granville (Morbihan).
En compétition au Festival Cinéma du réel qui se tient à Paris jusqu'au 27 mars, La Mécanique des corps se révèle un travail délicat autour du thème de la fragilité et de la reconquête de son corps après une amputation. Se sentir comme un bébé apprenant à marcher, comme « Cendrillon essayant sa pantoufle« . Réapprendre à saisir un objet, à serrer une main. Redécouvrir son corps prolongé d'une prothèse mécanique… Pendant deux ans, le documentariste Matthieu Chatellier a posé sa caméra au Centre de rééducation fonctionnelle de Granville. Il y a suivi l'impressionnant travail des professionnels et des patients pour réapprivoiser un corps appareillé. De ces femmes et de ces hommes « tronqués », on ne saura quasiment rien de leur vie d'avant, de ce qui les a fait basculer dans ce nouvel état de corps où tout est à réinventer. Ce parti-pris évitant les pièges du pathos permet de se centrer sur ce travail d'orfèvre qu'est l'appareillage, sur cette mécanique de précision aboutissant à des êtres hybrides mais pas désincarnés.
Rendre la liberté de mouvement Matthieu Chatellier filme autant les patients que le corps médical et montre que sans cette étroite collaboration rien ne saurait être possible. Quoi de plus motivant que de rendre la liberté de mouvement à un être humain qui en a été privé ? Un très beau challenge que tous ces professionnels relèvent avec une humilité touchante.